17 déc. 2008

Racine Jazz

Elle a eu mille vies, elle a le verbe haut et le rire clair, elle a l'œil qui s'illumine à la simple évocation de l'une de ses nombreuses passions, elle vous accueille dans sa vie au premier regard et ne vous oublie jamais. Elle a la générosité de ceux qui savent la richesse d'une rencontre, d'un rire, d'une émotion ou d'un souvenir. Elle a hérité de son père le charisme, l'enthousiasme, le partage et la plus belle collection de films de jazz de l'histoire du cinéma.

Elle m'a fait partager hier soir, et pour la deuxième fois, une partie de son trésor. Les spectateurs du Racine et moi-même l'en remercions infiniment.

Connaissez-vous le bonheur que procure la fraîcheur de ces débuts du cinéma ?

Nous sommes aujourd'hui cernés d'images de professionnels de l'image. Avant même de maîtriser son art, le musicien du XXIe siècle a déjà réfléchi à son « plan de com », à son meilleur profil, à ce qu'il dira de lui ou pas lors de sa première interview, à la façon dont il s'y prendra pour que ce ne soit pas la dernière.

Mais en 1927, l'image n'est pas encore le fantasme du musicien. Le musicien n'est pas encore comédien. Il ne joue pas avec la caméra mais avec le public, fût-il constitué du seul cameraman.
En 1927, le musicien jaillit de l'écran et vous prend par la main, il ne sourit qu'à vous et sa joie est la vôtre.

Depuis quelques années que je fréquente les festivals de jazz, j'ai rencontré quelques unes de mes idoles, je les ai interviewées, j'ai touché du doigt l'aura du génie, j'ai même chanté avec l'une d'elles, et pourtant jamais aucune ne s'est assise sur mes genoux comme l'a fait Count Basie, aucune n'a dansé avec moi comme Joséphine Baker, aucune n'a pleuré dans mes bras comme Billie Holiday et aucune ne m'a fait rire comme Lionel Hampton.. hier soir.

Oui, mes amis, j'ai passé ma soirée d'hier avec des légendes immortelles.

Je n'étais pas au cinéma, non, j'étais assise à une table du troisième rang du Cotton Club, admirant l'œil de velours et le sourire en coin du Duke, pleurant de rire lorsque Sugar « Chile » Robinson braquait du haut de ses sept ans deux faux revolvers dans le dos de Count Basie, s'installait au piano à sa place et nous chantait « Please, Mr Teacher, don't let me out of school », ou me demandant si oui ou non le pianiste de Lionel Hampton allait finir par s'envoler de son tabouret.

J'étais en 1951 et je me demandais si le plateau d'un des danseurs de claquettes fous allait m'atterrir sur la tête.
J'assistais à la plus mythique Jam Session de l'histoire de la musique.
Je me laissais mourir, bercée par la « Black Tan Fantaisy » de Duke Ellington.

J'étais en 1959, et Billie Holiday, épuisée, émaciée, abîmée d'avoir trop vécu, Billie à quelques mois de sa fin, me chantait « Strange Fruit » et changeait ma vie.

Peut-être mes lecteurs (prétentieux pluriel!) ne partagent-ils pas ma passion pour le jazz, mais je leur souhaite des passions qui leur procurent une gamme d'émotions aussi vaste, un plaisir aussi jubilatoire qu'un Cab Calloway dansant en pyjama de soie entre les couchettes d'un wagon-lit ou qu'un Louis « Satchmo » Armstrong jouant de sa trompette à s'en péter les joues.
Je leur souhaite d'être bouleversés aux larmes par une Nina amoureuse ou une Billie au bord du gouffre, je leur souhaite d'aimer un jour une coquine Ella ou un suave Duke.

Pour ma part, et en un soir, j'ai pris une dose massive de toutes ces émotions, et chanceuse passionnée que je suis, la magie s'est prolongée le temps d'un dîner en face de la Bonne Fée.

C'est pour la remercier de l'intense plaisir que ce fut de la retrouver et dans de si merveilleuses circonstances que je dédie ce billet à Josette Milgram, dealeuse de bonheur.

19 nov. 2008

Du muscle!

Je me suis toujours demandé à quoi pouvait ressembler la vie intellectuelle d'un bodybuildé.
Bon, avant de prendre des tomates pour crime de préjugés anti gros biceps, j'admets qu'il doit certainement y en avoir qui pensent. Je n'en ai juste jamais rencontré.
En général, le bodybuildé ne sort jamais sans sa fitness girl, chacun son royaume, aussi je ne pouvais m'interroger que de loin.
Mais -et là me direz-vous, la vie est bien faite- j'ai fini, ô joie! par en coincer un pour toute une soirée au cours de mes tribulations célibataires.
Le spécimen qui m'est échu était parfait! Un archétype!
Grand, brun, le textile moulant, la mèche gominée, le poil soyeux, la truffe fraîche, non, je m'égare.. et le regard... vide comme mon frigo après une semaine de nouba, c'est dire!
Quant aux gros muscles sculptés dans le marbre, ils étaient tous là. Il n'a évidemment pas manqué de me les faire compter!
Mais j'anticipe.. revenons à cette rencontre mythologique, genre Sand et Musset, Sartre et Beauvoir, Boule et Bill.. La rencontre d'X et moi était inscrite dans les étoiles.
J'étais arrivée en avance (une fois n'est pas coutume) au café fixé pour le rendez-vous, histoire d'assister à son entrée. Je n'ai pas été déçue..
Grand comme une montagne, il avançait en conquérant, le torse bombé et les jambes juste assez écartées pour ne pas s'écraser les noisettes entre des cuisses grosses comme des baobabs.
Déjà, mesquine que je suis, je me régalais!
Lorsqu'il est arrivé à ma table, j'ai eu juste le temps de m'affliger de l'odeur acide et boisée d'une eau de toilette qu'il devait avoir confondue avec sa lessive tant l'odeur rayonnait autour de lui, avant qu'il me donne deux coups de boule latéraux en guise de bonjour.
Il s'installa en face de moi dans un confortable fauteuil club en soupirant d'aise, sans doute de pouvoir enfin libérer ses cerises de leur étau, et me lança joyeusement : "quel temps de chiotte!"
J'étais conquise!
Assez rapidement, et pour ne pas lui laisser le temps de me sortir toutes les banalités du répertoire, j'entrai dans le vif du sujet.
-Tu as l'air en forme. Tu es très sportif?
-Ouais, je suis culturiste.
-(Tu m'en diras tant!) Depuis longtemps?
-Dix ans. Un jour j'en ai eu marre d'être le bon gros de service, je suis entré dans une salle et j'en suis plus ressorti.
-(Tu m'étonnes!) Et maintenant, tu te plais?
-Bah oui, c'est quand même plus beau comme ça! Au lycée on m'appelait Bouboule! C'est comme une revanche sur ceux qui se moquaient de moi. Et puis, les nanas...
-Oui? (Oh oui! raconte!!)
-Ben elles adorent toucher. Surtout les tablettes de chocolat. Tu veux voir?
-... (là, bouche bée qu'il m'offre de se dépoiler en plein café après 10 minutes de conversation, j'ai pris mon courage à deux yeux) Montre moi.
-... (Il montre, le bougre!)
-Très joli!
Et sinon, tu as des passions dans la vie?
-Ben, pas trop. Ce genre d'oeuvre d'art, ça prend du temps (sic!)
-Je vois, oui..
Bon, je vous épargnerai les détails d'une conversation qui consternerait quiconque ne fait pas une thèse de sociologie ou de psychiatrie sur la communauté culturiste.
Toujours est-il que j'ai eu la réponse à ma question. Le cerveau du bodybuidé a migré quelque part entre ses biceps et ses abdominaux pour ne plus jamais réintégrer sa place originelle.
Et s'il s'en est retourné déçu (ou pas) que ses reliefs ne m'eussent pas plus inspirée que ça, je repartais quant à moi riant déjà de la belle épitaphe dont il doit rêver :
"Il était musclé".

18 nov. 2008

Rosa Bonheur

C'est un petit coin de musique et de couleurs dans un petit coin de verdure parisienne.
C'est une soirée fraîche et humide où les filles et les filles, les garçons et les garçons ou pas, ou plus, rient, boivent, dansent, ou pas, ou plus.
Comme souvent quand tant de monde et de bruit, je me sens décalée jusqu'au moment déclic, sous la pluie, clope au bec, où une question me tombe sur le coin de la tronche. Elle vient d'un des rares connus. Quelques semaines avant, il m'avait lâché, sibyllin, l'air de ne pas y toucher, "j'ai beaucoup à apprendre de toi", avant de tourner les talons.
La vanne est ouverte, l'invitation trop belle, nous philosopherons jusque tard dans la nuit. Moment précieux d'échange, sous les étoiles, sur une butte, un peu de pensée brute.
Qu'est-ce qu'un bonheur? Une fête ? une coupe ? une danse ? un baiser ? un regard ? Tout ça peut-être, mais pour moi, avant tout une question, une intelligence, une incursion furtive dans le mystère du monde par le seul instrument de nos petites idées.
Une pensée, clope au bec, sous la pluie.
Merci Rosa.

5 nov. 2008

Yes they did!

Papa, où que tu sois, j'espère que tu vois ça sur écran géant!

4 nov. 2008

Say it loud!

L'heure est solennelle, le moment historique, non pas parce qu'en ce jour je publie et j'expose pour la première fois sous vos yeux ébahis les fruits les plus goûteux de ma pensée unique (vanitas vanitatum), mais parce qu'outre-océan se prépare une (r)évolution fondamentale de la société occidentale.

Pourquoi, me direz-vous, ne pas attendre d'être certaine de l'issue du combat pour crier victoire ?
Parce que précisément, la victoire est dans le combat lui-même.
Parce que déjà résonnent à ma mémoire ces vers de Baudelaire :


Race d'Abel voici ta honte
Le fer est vaincu par l'épieu
Race de Caïn au ciel monte
Et sur la Terre jette Dieu*

*Les Fleurs du mal, Révolte, Abel et Caïn.

Est-ce possible? Il est... NOIR???

A ce stade, une précision me semble nécessaire.
Non, il n'est pas noir, ni afro-américain, il est métis!
Ces Américains ont tendance à voir le Noir partout.. selon les vieilles lois racistes des Etats du sud, vous êtes noir dès lors qu'une "goutte de sang noir coule dans vos veine". Aux dernières nouvelles, le sang ne devient noir que lorsque justement il ne coule plus nulle part.

Métis, donc, fils d'un immigré kenyan et d'une jolie blonde bien de chez eux. Mieux encore, né à Hawaï et élevé par blanche mère-grand (R.I.P.).
Si le raciste de base considère le Noir comme inférieur du seul fait de la pigmentation de sa peau, il voit le Métis comme le fruit toxique d'une alliance contre nature. Le Noir, tout inférieur qu'il est n'en est pas moins "pur", le Métis est une corruption.
Coupable, le Métis, d'être l'incarnation et la preuve vivante de l'absurdité des théories racistes.
Capable, aujourd'hui pourtant d'incarner les valeurs dont se réclame la nouvelle génération.

Lorsque ma prof d'Histoire de Terminale, Mme Petit, pour ne pas la nommer, claironna devant sa classe bigarrée de littéraires :"Le problème des métis est que, ne pouvant se réclamer d'aucune appartenance raciale, ils n'ont pas de repères, pas de racines, pas de culture",
elle vit 38 des 44 élèves présents se lever calmement, ranger leurs petites affaires et sortir sans un mot, répondant à la bêtise par le mépris.
Tous métis! Franco-espagnols, franco-suédois, franco-marocains, franco-germano-lituaniens, franco-sénégalais, franco-serbes, franco-arméniens, franco-congolais... Tous bien conscients de la diversité de leurs racines, de la solidité de leurs repères et de la richesse de leurs cultures. Témoignages vivants de la propension française (entre autres) au mélange.
Pauvre Mme Petit, les bourgeois parisiens n'étaient plus ce qu'ils auraient dû, et les Américains ne sont plus ce qu'ils étaient..

Pour autant, ne nous leurrons pas, nous sommes aussi ce que les autres voient en nous..
En ce qui me concerne, de père congolais et de mère française, je suis l'heureuse propriétaire d'une peau couleur café agrémenté selon la saison de plus ou moins de crème. Ce que j'en pense? C'est joli..
Etant issue d'une famille aux pigmentations variées, je n'ai jamais perçu la moindre influence de la couleur de la peau sur la personnalité des gens qui m'entourent. Ainsi, je suis bien incapable de me qualifier en fonction de ma couleur et lorsqu'on me demande d'où je viens, incapable d'imaginer que mon derme doré soit à l'origine du questionnement, je réponds spontanément "Paris 10è", parce que l'endroit où j'ai grandi me caractérise bien plus sûrement que les exotiques latitudes auxquelles je dois mon hâle.

Néanmoins je dois l'admettre, à force d'être perçue par l'extérieur comme une Noire, j'ai fini par développer un certain sentiment d'identification. La simple évocation de la traite négrière et de l'esclavage me colle la nausée, je souffre avec chaque Noir tabassé, avec chaque Africain affamé, plus qu'avec n'importe quelle autre victime d'injustice. Je me sens concernée.

Comme lors de ce dîner avec trois amis, plus précisément, mon colocataire, métis coloré comme moi, mon amoureux de l'époque, Blanc, et ma grande amie de toujours, cosmopolite et Blanche, elle aussi. Elle rentrait tout juste d'un voyage en Afrique du Sud. Il ressort de la conversation qu'à présent que l'Apartheid est aboli, les Noirs rétablis dans leurs droits, mes deux amis Blancs considèrent, de façon parfaitement rationnelle, ce pays comme tout à fait fréquentable. En revanche, les deux "assimilés Noirs" que nous sommes mon coloc et moi avons réagi de façon épidermique. NON! Même si cette société a changé, tous les Blancs de ce pays de plus de 14 ans ont été éduqués dans la conviction absolue de leur supériorité sur les Noirs. La violence de cette idée horrifie instantanément quiconque pourrait en être la vicitme.

La couleur de la peau tisse bel et bien un lien, elle réunit dans une mémoire collective toutes les souffrances qu'ont subies des générations d'êtres humains, uniquement en raison de la quantité de mélanine qu'ils étaient capable de produire. Cet héritage est lourd ; à trop le revendiquer, on s'empêche d'avancer. Nous vivons en des temps où enfin nous pouvons être reconnus uniquement pour les hommes et les femmes que nous sommes. Mais sans crier vengeance, nous pouvons légitimement nous réjouir de cette reconnaissance d'un seul qui rejaillit sur tous.

C'est pourquoi, en cette heure solennelle, ce moment historique, qu'il gagne ou qu'il perde, pour la première et la dernière fois,


I want to say it loud : I'm black and I'm proud!