4 mars 2009

Le Beau et le Terrible

Son regard s'est jeté sur moi.
Son regard étiré, perçant, ocre et brillant, un de ces regards à double détente qui à la fois vous perce et ouvre une porte sur lui-même, m'a interceptée à l'instant où je levais les yeux.

Mouvement suspendu, temps suspendu, univers figé jusqu'à ce qu'un passant me bouscule.

Nous avons pris un café, puis dîné, puis repris un café, nous nous sommes racontés, épluchés, effeuillés jusqu'à la moelle de l'âme, dévoilant, selon son terme, "nos petites laideurs" et dans un instant de lucidité je découvris qui se trouvait en face de moi.

J'ai rencontré Dorian Gray.

Pas le genre blondinet dandy à la Wilde, le vrai Dorian Gray. Celui qui a survécu à la lame, survécu à la destruction de son avatar, survécu à ses propres laideurs et qui redevient beau.

Parce qu'il est extraordinairement beau. Un cas d'école. Le visage fin, racé, les yeux hypnotiques, cet homme exhale sa beauté.

Et au fil du récit, je reconnais tous les ennemis de Dorian, l'orgueil, la colère, la luxure, mais aussi le brio qui dans l'ennui devient pire qu'un vice, une arme.

Et bien sûr la beauté. En elle-même elle est son ennemi le plus acharné puisqu'elle donne l'illusion de l'impunité. Elle résiste longtemps au poids des turpitudes. Elle ne s'altère qu'à la chute.

La chute de Dorian Gray pour ne pas lui avoir coûté sa vie, lui a coûté son sourire, sa silhouette, sa démarche, la finesse de ses mains, la ligne de son nez, beaucoup d'argent, mais pour ce prix, il a regagné son âme.

C'était trop facile, cher Oscar, de laisser mourir Dorian avec son reflet. Il n'aura jamais eu l'occasion de souffrir, de se relever, de se repentir. C'est lui ôter toute possibilité de rédemption.

Aussi loin que ses routes l'aient mené, mon Dorian Gray en est revenu.

Cette réflexion se matérialisa par quelque chose du genre :
"Je te trouve effroyablement beau" (oui, bon, ça rend mieux à l'écrit..)
Et il me cita Rilke en me plantant ses yeux dans le front :
"Le Beau est le commencement du terrible".


Je lève mon verre au courage, à l'humilité, à la beauté déchirante et déchirée, je lève mon verre à Dorian Gray.

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