22 mars 2009

Lettre à mon arbre

Voilà un an qu'un arbre me pousse dans la tête.
Un arbre hors du commun, bien sûr (puisqu'il est dans ma tête), qui à peine planté jetait déjà sur moi l'ombre protectrice et apaisante de ses branches.

Ses premières racines sont nées dans les souvenirs de l'enfance, dans la chaleur du sol d'Afrique sous mes pieds alors qu'une main immense serrait fermement la mienne et enroulait son petit doigt autour de mon poignet. Elles sont nées de chants grégoriens auxquels je ne comprenais rien mais dont la gravité, de même que le vieux livre noir dont ils étaient issus, m'inspiraient un respect mêlé de fascination. Elles sont nées dans les massages de genoux au retour du tennis dominical. Elles sont nées dans l'étreinte, le regard, l'odeur, la voix, dans le rire qui ne résonne plus qu'à quelques mémoires privilégiées.
Elles sont nées dans l'empreinte de ce que l'arbre était.

Dans ce fertile terreau, sitôt l'arbre planté, les racines se sont érigées en un beau tronc solide, à l'écorce encore tendre qui laisse deviner sa volonté de grandir encore. Ce tronc n'est que force immobile, silencieuse, mais en permanence alimentée par le respect, le soutien, la compassion, la bienveillance, en un mot l'amour des miens. C'est au pied de ce tronc que peuvent s'adoucir l'orgueil, éclater les joies et enfin, la pudeur du chagrin suspendre son combat.

Et les branches s'épanouissent dans leur majesté, aussi larges et riches que le fut ta pensée. Chaque frémissement des feuilles me souffle par bribes l'écho de ta sagesse. Et lorsque la tempête menace d'emporter avec elle ma raison, ma volonté et mon espoir, je me réfugie sous l'aile immense du souvenir de la confiance gagnée, de l'harmonie conquise, de notre merveilleuse quoique tardive complicité.

Alors, mon arbre, depuis un an que tu résides dans ma tête, je me permets de te faire part de ce que tu m'as inspiré.
J'ai soutenu maman du mieux que je le pouvais, j'ai aimé mes amis, travaillé dur, veillé sur mes principes, réalisé des rêves, en ai formulé d'autres, vu les États-Unis élire un président noir, aidé des gens, beaucoup ri, pas mal pleuré aussi..

Et un homme est entré dans ma vie.

"Encore?" me diras-tu..
Encore, oui.. Enfin.

Et j'ai connu le regard qui caresse, la voix qui enrobe, la douceur, la tendresse, la connivence, l'intelligence, la chaleur, l'attente, la douleur, l'espoir..
Et à côté de toi mon arbre, regarde, un autre arbre commence à pousser, en fait ce n'est encore que l'idée d'un arbre.. il prendra ses racines dans l'avenir et déjà, j'attends de pouvoir m'adosser à son tronc de confiance et de me reposer à l'ombre de ses branches.


A mon Papa.

4 mars 2009

Le Beau et le Terrible

Son regard s'est jeté sur moi.
Son regard étiré, perçant, ocre et brillant, un de ces regards à double détente qui à la fois vous perce et ouvre une porte sur lui-même, m'a interceptée à l'instant où je levais les yeux.

Mouvement suspendu, temps suspendu, univers figé jusqu'à ce qu'un passant me bouscule.

Nous avons pris un café, puis dîné, puis repris un café, nous nous sommes racontés, épluchés, effeuillés jusqu'à la moelle de l'âme, dévoilant, selon son terme, "nos petites laideurs" et dans un instant de lucidité je découvris qui se trouvait en face de moi.

J'ai rencontré Dorian Gray.

Pas le genre blondinet dandy à la Wilde, le vrai Dorian Gray. Celui qui a survécu à la lame, survécu à la destruction de son avatar, survécu à ses propres laideurs et qui redevient beau.

Parce qu'il est extraordinairement beau. Un cas d'école. Le visage fin, racé, les yeux hypnotiques, cet homme exhale sa beauté.

Et au fil du récit, je reconnais tous les ennemis de Dorian, l'orgueil, la colère, la luxure, mais aussi le brio qui dans l'ennui devient pire qu'un vice, une arme.

Et bien sûr la beauté. En elle-même elle est son ennemi le plus acharné puisqu'elle donne l'illusion de l'impunité. Elle résiste longtemps au poids des turpitudes. Elle ne s'altère qu'à la chute.

La chute de Dorian Gray pour ne pas lui avoir coûté sa vie, lui a coûté son sourire, sa silhouette, sa démarche, la finesse de ses mains, la ligne de son nez, beaucoup d'argent, mais pour ce prix, il a regagné son âme.

C'était trop facile, cher Oscar, de laisser mourir Dorian avec son reflet. Il n'aura jamais eu l'occasion de souffrir, de se relever, de se repentir. C'est lui ôter toute possibilité de rédemption.

Aussi loin que ses routes l'aient mené, mon Dorian Gray en est revenu.

Cette réflexion se matérialisa par quelque chose du genre :
"Je te trouve effroyablement beau" (oui, bon, ça rend mieux à l'écrit..)
Et il me cita Rilke en me plantant ses yeux dans le front :
"Le Beau est le commencement du terrible".


Je lève mon verre au courage, à l'humilité, à la beauté déchirante et déchirée, je lève mon verre à Dorian Gray.